Susie Zipp
Tuto 7 : abstinence, couple... guide de survie sexuelle en plein confinement.
De ce début du 21ème siècle, nous retiendrons sans doute 1) que notre système de santé est vraiment merdique 2) que nous pouvons parfaitement survivre chez nous, en passant du temps en famille, avec des bouquins, ou à créer du lien social uniquement en webcam 3) que notre sexualité va forcément se trouver transformée par ce confinement généralisé (Un milliard de personnes confinées aux dernières nouvelles, privées temporairement de leurs plans Tinder).
Ca semble dérisoire, au regard du psychodrame collectif, du nombre de morts à l’échelle mondiale, de l’impossibilité pour certain-e-s (soignant-e-s, agent-e-s d’entretien, livreurs et livreuses…) de s’adonner à ce confinement en bonne et due forme.
Reste que tandis que votre mental s’affole (vous avez lu tous les articles des épidémiologistes parus ces derniers jours) puis s’apaise (vous profitez de la quarantaine pour faire des siestes indécentes), vous avez soudain, là maintenant tout de suite, une impérieuse envie de baiser. Et que quoi qu’il arrive, vous êtes parti-e-s pour un bon nombre de jours avec orgasmes à domicile.
A partir de là, trois cas de figure :
Ou bien vous vivez un confinement en néo-couple, auquel cas vous n’avez probablement même pas cliqué sur cet article, attendu que vous vivez actuellement dans les meilleures pages d’un roman de Duras. Vous êtes un peu la Leïla Slimani du cul. On vous hait, évidemment, d'ailleurs tout le monde évite de vous téléphoner. On espère sadiquement que la promiscuité forcée va vite ramener un peu de prosaïsme dans toute cette sexualité débordante, et que vous ferez une occlusion intestinale plutôt que d’oser aller faire caca après 5 jours de romance dégoulinante de kamasutra.

Oh oui fais moi jouir avec ton masque à gaz
Vous êtes en couple depuis plus de 4 mois, période sur laquelle les spécialistes de Biba s’accordent pour décréter la fin de la lune de miel sexuelle. A partir de là, si l’idée de pouvoir baiser en toute tranquillité vous a d’abord séduit-e-s, vous sentez bien le piège arriver : ce confinement en couple, c’est un peu comme si on vous avait mis dans une Capsule de Routine Accélérée. Plus de vie sociale, plus de PQ à la maison, votre moitié en pyjama et crise d’angoisse devant l’ordi qui plante en pleine visioconférence : bref, pas tout à fait les conditions idéales pour renouveler une sexualité qui avait tendance ces derniers temps, déjà, à s’essouffler (avouez). La sexualité n’est évidemment qu’une facette du problème : à Wuhan, le cluster initial en Chine, le nombre de divorces post quarantaine a littéralement explosé, et cette statistique ne vous a probablement pas échappé, tandis que vous trainez du canapé au lit et du lit au canapé, vous demandant bien comment survivre à cette étrange contrainte d’être enfermé-e-s à deux durant tout ce temps (indéterminé qui plus est). Et peut-être que les quelques rapports sexuels qui ont ponctué ces premiers jours étaient sympas, mais pas ouf non plus. Tout ceci serait normal : le désir, on le sait, se nourrit de nouveauté : en l’occurence, les quelques apéros zoom entre ami-e-s ou les lectures qui s’étirent entre deux rendez-vous yoga en ligne, sans compter l’inquiétude liée au compte en banque, ne remplissent pas leur fonction stimulante.
D’ailleurs, les boutiques de sex-toys l’ont bien compris , et proposent même des Pack confinement à deux.

Les pâtes en forme de zizi, quoi de plus excitant finalement?
Je crois que cette publicité dans ma boite mail m’a durablement soignée du regret que j’avais à ne pas être en couple, justement, durant cette étrange période. Déjà parce qu’on devrait définitivement bannir le terme « coquin » du champ lexical érotique. Aussi parce qu’il nous apparait désormais très clairement que mettre en danger la vie d’un pauvre livreur pour se payer le luxe d’un rabbit ou d’un plus anal serait d’une tristesse infinie. Enfin, les stratagèmes publicistes pour nous vendre de la lingerie fine ou bien des bougies parfumées au gingembre apparaissent dans toute leur inanité : ce n’est donc pas avec un gadget, ou une culotte en bonbons, qu’on va sauver notre couple du naufrage sexuel, même si ça peut être rigolo ponctuellement.
En résumé, vous angoissez à l’idée que votre couple ne sorte pas sain et sauf de ce printemps en chambre à coucher, là où on s’imaginait jouir et dormir entre deux sessions de courses solidaires.
D’ailleurs, les articles qui martèlent que cette quarantaine serait un test de choix pour toutes celles et ceux qui l’expérimentent en couple, que c’est le moment ou jamais de savoir si on va survivre à tout ça, comme si le confinement était un Koh-Lantah de l’amour, ne manquent pas.
Ils me débectent tant je les trouve culpabilisants et angoissants.
Foutons-nous la paix, et foutons la paix à l’autre! Il y a des couples fusionnels qui s’aimeront probablement mieux après cette période. Et puis il y a des couples plus indépendants qui vont se taper sur le système. Ce sera inconfortable, mais pas forcément le signe fatal. Signalons tout de même que « se taper sur le système » équivaut pour de nombreuses femmes à risquer leur santé mentale et physique auprès d’hommes violents, et qu’il existe des numéros d’appel d’urgence si on entend des trucs louches chez ses voisin-e-s (le 3919) .
En réalité, s’abstenir de toute pression constitue sans doute la clé pour vivre la quarantaine en couple de la meilleure manière possible. Si vous ne baisez pas durant 10, 15, 30, 45 jours et bien ce n’est pas si grave en soi. Ca arrive, les périodes sans libido, d’autant que la rupture avec notre quotidien, la peur pour nos proches ou nous-mêmes, les contraintes nombreuses du confinement… peuvent nous plonger dans un état de sidération latente peu propice aux ébats. Sans parler de la peur, chez certains couples, de se refiler le virus.

Cela posé, des sexologues proposent aux couples qui n’arrivent plus à faire l’amour, pour diverses raisons, un exercice simple : mettez-vous la contrainte de ne pas baiser. Pas une petite contrainte amusante qu’on peut lever au premier signe d’excitation, non non, une vraie contrainte. Parcs fermés, piques-niques et rapports sexuels interdits. Il semble que cela fait baisser la pression, justement, de devoir tenir une cadence, une fréquence, en dessous de laquelle nos rapports seraient sujets à soupçons. Peut être que se balader à poil devant l’autre avec interdiction de se sauter dessus durant une période déterminée serait un stratagème intéressant (voire se masturber devant l’autre, attaché-e, dans l’impossibilité de vous toucher par exemple). Peut-être que de se caresser, de se faire des câlins, mais sans toucher certaines zones (check des coudes oui, check des cuisses non) permettrait de mettre à profit cette indétermination temporelle, pour en faire un espace de recherche, d’exploration. Disons que tout ceci constitue une première voie, qu'on peut aller plus loin, en essayant la chasteté contrôlée.
La seconde voie, plus radicale, et qui exige sans doute une communication libre, épanouie entre les deux partenaires, serait d’en profiter pour franchir certaines limites. Il parait qu’on est tou-te-s soit exhibitionnistes, soit voyeurs/ses. Eh bien, c’est le moment tout indiqué pour essayer sur webcam : certains sites libertins l’ont d’ailleurs bien compris et revisitent leur vocabulaire : sur Wyylde par exemple, vous n'êtes plus Libres Ce Soir mais Dispos pour une Webcam. Si vous craignez de tomber dans un Benjamin Griveaux Gate, ne vous en faites pas, un clair-obscur bien géré dans la chambre à coucher dissimulera votre visage.
On peut aussi évidemment en profiter pour se mettre au porno éthique, ou écouter des podcasts érotiques ensemble . S’écrire des sms brûlants depuis la cuisine. Faire des jeux de rôle. Le truc le plus important encore une fois est de se débarrasser du sentiment de pression, voire d’obligation : c’est une évidence, mais à partir du moment où les parties en présence ont vraiment envie, ça sera très chouette, y compris si ça « foire » (encore que éclater de rire ensemble devant un déguisement improvisé n’est pas une foirade, c’est même plutôt bon signe).

Tu viens te coucher chériiiiiiii-e????
Bien entendu, on vous conseillera de ménager des vrais temps à soi pour respirer loin de votre moitié (c'est fou comme il/elle fait du bruit en mangeant ses biscottes non?), et vous ricanerez depuis vos 40M2.
Enfin, dernière possibilité: vous êtes actuellement célibataire. Pour le coup, la promiscuité vous manque tout court, peut être encore plus si vous devez faire, en plus, face à la solitude. Depuis quelques jours, il vous apparait très clairement que la vie sans calins, sans rouler des pelles, voire sans échanger des oeillades dans le métro, au boulot, a bien moins de charme. Le sexe va vous manquer, c’est certain, mais surtout dans sa dimension de séduction, de rencontre, de nouveauté ; de discussions amicales ou semi-amoureuses sur l’oreiller, de cette liberté folle à pouvoir choisir avec qui on va coucher ces prochains jours, de s’étourdir de flirts, de possibilités festives. Parfois avec une sensation brutale, douloureuse, et vous admettez volontiers que ça va être difficile. Si vous rôdiez sur les sites de rencontre, vous vous apercevez que les données sont bouleversées, ici aussi – comment faire pour maintenir le lien avec des amant-e-s qu’on ne voyait que de temps en temps? Ou, plus épineux encore, avec quelqu’un qu’on devait bientôt rencontrer? Ou même, pour les couples, avec une liaison secrète?
Là encore, il y a une invitation à revoir nos priorités, à redéfinir nos choix. Par exemple, se contenter de plans cul, sans réelle amitié ni lien fort, n’est-ce pas une forme de misère sexuelle finalement? Judith Duportail suppose que cela va modifier nos rapports à nos amant-e-s, qu’on va sans doute prendre davantage de leurs nouvelles, qu’on arrêtera peut être notre frénésie pour redonner du sens à nos choix d’amant-e-s actuel-le-s ou à venir. Ca serait bien évidemment, ça permettrait de remettre un peu d’éthique dans une logique de surconsommation souvent décevante in fine.
Du reste, les applis de rencontre, bien décidées à ne pas perdre d'habitué-e-s, s'adaptent. Cependant, restons vigilant-e-s sur les images que nous diffusons, sur la protection de notre vie privée et de nos petites culottes.
Ensuite, l’abstinence pure et dure peut constituer un moyen de sublimer ce qui nous arrive. Je ne vous ferai pas le coup de la sensualité retrouvée avec la colline qui verdoie depuis la fenêtre de votre résidence secondaire, rassurez-vous. N’empêche que ce bas-ventre qui brule, qui réclame satisfaction, peut être aussi accepté comme tel. Vous aurez envie de baiser, et vous ne pourrez pas le faire. Soit. On peut méditer, on peut se mettre aux cours de Zumba en ligne, on peut relire tous les essais de sociologie dans sa bibliothèque et se contenter de constater : finalement, lorsque le sexe facile n’est plus possible, et bien ça libère notre temps libre et par là, notre créativité. Concrètement, des témoignages de personnes chastes, par choix, concordent sur ce point : au bout d’un moment, le jeûne, ça marche, c’est bon pour le moral et la santé. Surtout que ce jeûne aura une fin, que nous pouvons rêver à ce jour merveilleux où nous pourrons à nouveau nous faire prendre/prendre en levrette nous retrouver dans une euphorie humaine qui n’aura d’égale que le nombre de capotes prévues pour cette première soirée de liberté et de bisous. En ce sens, vivre une période d’abstinence longue et plus ou moins choisie (ie sans nous masturber) augmentera très probablement notre propension à jouir, à apprécier cette jouissance, à faire l’amour durant des jours des heures. Vivement, hein?
Ou alors, on peut en profiter pour revisiter notre rapport à la masturbation. Là où on se branlait vite fait bien fait, à l’aide de sources de stimulation finalement assez routinières, eh bien on a désormais tout le temps d’essayer de se faire jouir par la pensée, de fabriquer nos sex-toys maison. De construire notre imaginaire sexuel, de dérouter nos mécanismes d’habitude en allant toujours à la page 10 ou 20 des suggestions de plates-formes porno.
Tout comme nous apprenons à réinvestir l’ennui, l’intériorité, le glandage en règle devant TikTok ; nous réapprenons à être excité-e-s par des sons, des images plutôt que par des clins d’oeil IRL. A apprécier les réminiscences d’anciens ébats plutôt qu’à toujours anticiper sur les prochains ; à se masturber sans sex-toys ni porno mainstream, à fantasmer sur un simple effleurement (là où, en pleiné période active, il nous fallait passer par des choses plus trash ou moins familières ), ou encore à essayer l'autofellation (uniquement si vous êtes forts en yoga) et du coup, c’est l’occasion de ne plus voir la masturbation comme un pis-aller, une pratique dégradante ou honteuse.
Après, je ne vais pas vous mentir : j’essaie d’être optimiste et positive, mais l’abstinence va me peser, évidemment, comme à vous, heureusement il existe des palliatifs.

Si comme à moi tout ce temps libre vous donne envie d’écrire, a fortiori des textes érotiques : le podcast génialissime le verrou.fr ouvre un concours Comment revisiter notre rapport érotique au son et à l’excitation? Joli sujet non? En plus c’est Eric Reinhardt le parrain (mon auteur préféré du moment!)
Cette période étrange me fait penser à cet excellent épisode du non moins excellent magazine QUD. Une fiction documentaire en plusieurs épisode, dont un qui met en scène la France en pleine pandémie de MST : les rapports sexuels sont interdits par l’Etat. https://qud-magazine.com/numero-1/ C’est génial, drôle et…. de circonstance.
Parce que finalement, si on peut tirer UNE conclusion de ce que nous enseigne ce confinement rapport à notre sexualité, c'est que celle-ci fait partie intégrante de nos vies. Qu'elle n'est pas un sujet moindre, finalement. Qu'elle est essentielle à notre bonheur, à notre manière de nous placer dans le lien aux autres, à nous-même, à notre corps.